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La Kabbale

 

Le terme kabbala , littéralement « tradition », désignait à l’origine toute tradition doctrinale, même biblique à l’exclusion du Pentateuque, et plus particulièrement la transmission, d’abord orale, ensuite écrite, d’enseignements concernant la pratique religieuse. C’est seulement au XIIIe siècle que ce terme désigne un système doctrinal particulier et au XIVe siècle que les penseurs de ce courant sont appelés «kabbalistes» de préférence à toute autre désignation.

L’apparition de la mystique juive coïncide avec la période des grands courants théosophiques et gnostiques des premiers siècles de l’ère chrétienne. On peut suivre son développement ininterrompu du IIe siècle à nos jours. Comme toute autre forme de mystique religieuse, elle cherche essentiellement à réinterpréter les données de la Révélation en vue d’atteindre des réalités supérieures par le moyen de la connaissance, de la vision ou à travers une expérience vécue. La spécificité de la mystique juive par rapport à la mystique grecque, chrétienne ou musulmane s’exprime dans certains concepts fondamentaux qui demeurent permanents quelle que soit la diversité des formes ou des moyens d’approche que revêtent ou adoptent les courants doctrinaux.

La méditation est centrée en premier lieu sur le concept du Dieu vivant, dont l’essence inconnaissable se manifeste dans ses attributs. Ces attributs sont en même temps les étapes de procession du monde de la divinité, qui transcende l’univers phénoménal et est cependant activement présente dans tout ce qui existe. Cette multiplicité de niveaux et d’attributs a pour origine le Dieu unique, source de toute existence.

La finalité de l’investigation mystique est la connaissance de ce monde divin. Les deux instruments providentiels qui permettent de la réaliser sont la Tora et la langue hébraïque. La Tora n’est pas seulement un texte composé de phrases et de mots, mais la manifestation concrète de la Sagesse divine, dont aucune interprétation en langage humain ne peut exprimer le sens intégral. Les commandements qu’elle contient selon le sens littéral sont les expressions, adaptées à l’entendement humain, de lois universelles. Leur accomplissement permet une participation effective à la réalisation de l’harmonie cosmique.

La langue hébraïque reflète la nature spirituelle de l’univers. Les lettres qui la composent sont les éléments de la création; la connaissance de leurs lois internes donne accès à celle du monde divin dont elles procèdent. Par l’interprétation anagogique de la Tora et des commandements, la mystique juive se greffe sur la religion exotérique. Si l’on excepte deux ramifications tardives qui s’en détournent, l’orthodoxie rigoureuse reste la base commune de tous les courants ésotériques du judaïsme.

En fonction de leur contenu particulier et suivant leur succession chronologique, on peut distinguer les principaux courants suivants: l’ésotérisme de la période talmudique (IIe-Ve s.), qui se prolonge, avec une évolution de la terminologie, dans les spéculations mystiques sur le «char divin», la merkaba (IIIe-VIIe s.); le mouvement des hassidim («hommes pieux») d’Allemagne (XIIe-XIVe s.); la kabbale d’Espagne avec ses deux branches de la théosophie spéculative et de la kabbale «prophétique» (XIIe-XVe s.); l’école d’Isaac Luria (à partir d’environ 1530) et la mystique populaire, en Pologne, appelée également hassidisme (de 1750 à l’époque contemporaine).

Chacun de ces courants a laissé une littérature abondante qui revêt une forme et des moyens d’expression particuliers. Leur trait commun est l’absence de toute donnée d’autobiographie spirituelle. L’objet de la vision ou de la contemplation est décrit objectivement par un auteur dont l’identité est laissée dans l’ombre, ou bien dissimulée sous le pseudonyme d’une autorité religieuse hautement respectée. Cette psychologie caractéristique des mystiques juifs explique que, pour un matériel doctrinal riche et relativement bien exploré, la documentation biographique – surtout celle qui concerne les premières périodes – soit extrêmement pauvre.

1. Période talmudique (IIe-Ve siècle)

La mystique du Trône

Née en Palestine, la mystique juive évolua parallèlement à la religion exotérique; les premiers écrits sont anonymes ou pseudépigraphes. Bien qu’aucun auteur n’ait été identifié avec certitude, on attribue un rôle actif à certains docteurs de la Mishna (IIe-IIIe s.), comme R. Johannan ben Zakkaï, Ben Zoma, R. Aqiba, R. Méir, R. Siméon ben Lakish. De la Mishna elle-même (compilation de législation religieuse datant du IIe s.) toute allusion d’ordre ésotérique a été exclue; certains fragments ont été cependant conservés dans la Tosefta (recueil contemporain de sentences non intégrées à la Mishna ). Les écrits majeurs de ce courant, visionnaire plutôt que spéculatif, ont pour sujet central le monde du Trône, lieu de la manifestation de la Gloire divine et de la disposition hiérarchique des différentes classes d’anges et d’archontes. Leur forme littéraire s’apparente à celle des écrits apocalyptiques qui décrivent les visions de l’âme au cours de son voyage céleste. Un groupe de textes, dont les premiers remontent à la même époque, développent des spéculations cosmologiques fondées sur celles de la Mishna Hagiga et étudient plus particulièrement la structure et le nombre des cieux (écrits de Ma‘ase bereshit , ou Œuvres de la création ). Le plus célèbre traité de cette période, intitulé Shi ‘ ur qoma (Mesures du corps ), décrit l’apparence corporelle que la divinité revêt lors de sa théophanie sur le Trône. L’immensité des «mesures» est à la fois une expression symbolique de l’incommensurabilité de la transcendance divine et un ensemble complexe de symbolismes numériques. Ce traité contient aussi les premières mentions de Metatron , l’ange suprême, métamorphose céleste d’Enoch après son enlèvement au ciel, qui fut un thème central des écrits de la seconde phase de ce courant (IIe Livre d’Enoch ).

La mystique de la Merkaba (IIIe-VIIe siècle)

Le centre des enseignements ésotériques se déplace ensuite à Babylone, mais les thèmes en demeurent identiques: l’objet principal des visions reste le char divin (merkaba ; la référence scripturaire est Ézéchiel, chap. I). Seule change la terminologie: le voyage céleste est désigné désormais comme la «descente» vers la Merkaba. En plus de l’influence de la littérature apocalyptique, on y décèle celle des idées néo-platoniciennes et néo-pythagoriciennes, qui apparaît surtout dans la symbolique des nombres et dans la prise en considération, en vue de l’admission des adeptes, de critères physiognomoniques et non seulement moraux. Les plus importants documents, brefs traités dont il ne reste souvent que des fragments épars et qui s’intitulent Heykhalot (Palais célestes , Grands Heykhalot , Petits Heykhalot , IIIe-IVe s.), contiennent des descriptions des palais ou demeures célestes, dont le septième renferme le Trône. On y remarque une technique incantatoire qui se fonde sur la vertu extatique de certaines formules liturgiques et scripturaires (surtout celle d’Isaïe, VI, 3: «Saint, saint, saint...») ou sur celle des hymnes caractéristiques de cette littérature. Le seul exposé théorique provenant de cette période, un traité cosmologique intitulé Sefer Yesira (Livre de la création , entre les IIe et Ve s.), contient la première mention de la doctrine des sefirot , considérées ici comme les dix nombres primordiaux qui fournissent, avec les vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque, les éléments spirituels de la création. La doctrine des sefirot et de la mystique du langage Sefer Yesira auront une influence considérable sur l’évolution de la kabbale.

2. Du XIIe siècle à 1492

Le «Sefer ha-bahir»

Après un très long silence dans la série des témoignages parvenus jusqu’à nous, une recrudescence des spéculations ésotériques apparaît au XIIe siècle, en Europe cette fois, dans plusieurs centres, dont chacun est le foyer d’un courant particulier. L’un des documents les plus importants pour l’évolution de la mystique, et celui dont le transfert en Europe semble être à l’origine du renouveau doctrinal, est le Sefer ha-bahir ; il est constitué d’un assemblage de matériaux provenant d’époques et de sources diverses, dont les premières couches semblent provenir d’Orient et dont la dernière, contemporaine de la rédaction définitive, contient des éléments empruntés à la philosophie néo-platonicienne juive du XIIe siècle (Abraham bar Hiyya, par exemple). Sous la forme d’une exégèse mystique allégorisante, attribuée à des autorités rabbiniques du IIe siècle (surtout Nehunya ben Haqana), le Sefer ha-bahir développe une conception gnostique de l’univers. Les sefirot du Sefer Yesira , transformées en éons du plérome divin, réapparaissent revêtues d’une nomenclature symbolique empruntée au vocabulaire des écrits gnostiques, à la littérature des Heykhalot ou à la Bible même. L’influence des concepts gnostiques se reflète dans la symbolique de l’arbre cosmique, lieu d’origine des âmes, dans celle de la Sagesse hypostasiée, et surtout dans l’introduction, à l’intérieur du monde divin, d’un élément féminin, la Présence (Shekina ). Cette dernière entité, d’un symbolisme particulièrement riche, est à la fois l’aboutissement, la «mer» ou le «réservoir» des influences qui s’épanchent à partir des attributs supérieurs, le principe préposé au gouvernement du monde extradivin, et la communauté d’Israël hypostasiée. Sous ce dernier aspect, elle opère la jonction entre les mondes divin et terrestre et ouvre l’accès, pour ceux qui font partie de ce corps mystique, à une participation effective à l’économie des énergies cosmiques.

Le mouvement des hassidim d’Allemagne

Les spéculations du Sefer ha-bahir atteignirent d’abord les communautés rhénanes, où le livre fut connu par l’intermédiaire d’un membre de la famille des Kalonymides. La condition pénible des Juifs d’Allemagne pendant les croisades a contribué à préparer dans ce pays un terrain propice à l’éclosion d’un courant mystique intimement lié à la vie du peuple et qui, malgré la courte durée de sa période créatrice (1150-1250 env.), a exercé une influence durable sur l’évolution du judaïsme d’Allemagne.

Le mouvement des hassidim est lié au nom des Kalonymides, famille originaire d’Italie et dont les membres ont donné pendant plusieurs siècles des chefs spirituels aux communautés de Spire, de Worms et de Mayence. Les trois personnalités qui ont créé le mouvement sont Samuel, fils de Kalonymos (milieu du XIIe s.), son fils Juda le Hassid (mort en 1217), et le disciple de ce dernier, Éléazar de Worms (mort env. 1230). Les écrits de Samuel ont été en partie conservés; ceux de Juda sont connus seulement sous la forme transmise par ses disciples. Éléazar de Worms a laissé une œuvre considérable, véritable dépôt de l’enseignement hassidique (Sefer ha-rokeah , Hokmat ha-nefesh , écrits sur la prophétie, l’angélologie, commentaire sur la liturgie, etc.). Le témoin le plus important de ce courant est le Sefer hassidim , compilation de directives spirituelles qui reflète l’enseignement des trois fondateurs.

L’éventail des thèmes y est bien plus large que dans la mystique des premières périodes. En plus de sujets relevant de la théosophie, et de la psychologie qui s’y rattache, les méditations sur les commandements et l’interprétation théologique de l’histoire font pénétrer les concepts mystiques dans l’existence quotidienne. Les méditations du hassid portent avant tout sur l’idéal de la vie religieuse, dont la réalisation est considérée comme supérieure à toute opération intellectuelle. Cet idéal, par l’attitude de sérénité parfaite, de renoncement et d’impassibilité qu’il requiert, a bien des affinités avec l’ataraxie stoïcienne, dont l’influence s’est exercée également aux origines du monachisme chrétien. Le contact continu avec ce dernier ainsi que les tendances ascétiques inhérentes au hassidisme ont favorisé l’adoption de certaines disciplines, des pratiques pénitencielles par exemple, dont l’apparition dans le judaïsme est un fait exceptionnel. La plus importante méthode spirituelle était l’oraison méditative, fondée sur des techniques qui exploitaient les particularités de la langue hébraïque (décompte de la valeur numérique des lettres, guematria ; interprétation des lettres d’un mot comme initiales des mots d’une sentence, notarikon ; permutation des lettres, temurah ).

Dans le domaine doctrinal, les spéculations centrées sur la Gloire, manifestation du Dieu inconnaissable, présentent des tendances diverses où l’on peut distinguer trois groupes principaux. Dans le cénacle de Juda le Hassid, l’apparition de la Gloire, entité créée, est considérée comme le couronnement de l’expérience spirituelle du mystique. D’autre part, un document littéraire anonyme, le Sefer ha-hayyim , dont la conception émanatiste révèle des influences néo-platoniciennes et des affinités avec la kabbale d’Espagne, attribue à la Gloire une fonction cosmologique. Enfin, selon l’école du « Chérubin particulier», dont le texte de base est l’anonyme Berayta de Yosef ben Uzziel , le «Chérubin saint» est la manifestation du Dieu inconnaissable et l’objet de tout anthropomorphisme scripturaire. La doctrine cosmologique des hassidim se fonde sur l’enseignement des Heykhalot et des textes du Ma‘ase bereshit de la période précédente. L’anthropologie est ordonnée autour de l’idée de l’archétype de l’âme, qui, préexistant sur un plan ontologique supérieur à sa carrière terrestre, est connaissable aux anges, aux démons et aussi aux prophètes. Cette doctrine porte la marque du néo-platonisme. La diffusion de ce dernier sera en outre favorisée par la traduction en hébreu d’œuvres philosophiques de penseurs juifs arabophones (Salomon Ibn Gabirol), par des traités de vulgarisation (d’Abraham bar Hiyya) et par des ouvrages de spiritualité (Bahya Ibn Paquda, Juda Halévi) composés directement en hébreu. Il aura une influence déterminante sur l’évolution d’un courant contemporain du mouvement hassidique, mais d’une orientation très différente: la kabbale d’Espagne.

La kabbale d’Espagne

Les cénacles de Provence

Vers les années 1200, le midi de la France, agité par des tensions religieuses intenses et surtout par le catharisme, devient le foyer d’un épanouissement culturel exceptionnel des communautés juives, avec plusieurs centres d’études renommés en Provence (Narbonne, Béziers, Montpellier, Lunel, Posquières); au XIIIe siècle, on en trouve en Catalogne (Gérone, Barcelone) et en Castille (Burgos). Bien qu’on ne puisse faire état d’une information biographique étendue, le nom et l’identité des membres les plus éminents en sont connus. Jacob Nazir de Lunel, Abraham ben Isaac (mort en 1179) et son gendre Abraham ben David de Posquières (mort en 1199), autorités religieuses de renom, ont laissé, parmi leurs écrits, des fragments d’enseignements théosophiques. Le fils d’Abraham ben David, Isaac l’Aveugle de Narbonne, que les sources contemporaines présentent comme le type pur du mystique contemplatif, est le premier lettré juif dont l’activité se limite à la kabbale. L’école de Provence annonce un renouveau doctrinal important. Ce sont surtout les écrits d’Isaac l’Aveugle (commentaire sur le Sefer Yesira ), mais aussi les allusions contenues dans les œuvres de Jacob Nazir et d’Abraham ben David qui montrent que les spéculations, centrées sur le monde séfirotique, s’efforçaient de formuler la distinction entre l’aspect manifesté de la divinité – le Démiurge, en hébreu Yoser bereshit – et son aspect non manifesté – la Cause des causes –, inconnaissable à l’homme, même au sommet de la contemplation mystique. Ces écrits annoncent aussi une nouvelle technique de contemplation reliant les mots de la liturgie à la méditation sur les sefirot ; cette technique jouera un rôle central dans les branches tardives de la kabbale.

Le «cercle de ‘Iyyun»

Un cercle contemporain des cénacles de Provence, non encore localisé, appelé «cercle de ‘Iyyun», d’après son texte fondamental (Sefer ha-‘Iyyun ), élabore un nouveau genre de littérature pseudépigraphique, qui est diffusé sous la caution d’autorités rabbiniques de la période talmudique. Ces textes, en grande partie encore inédits («La Source de la sagesse», «Prière de Nehunya ben Haqana», «Midrash de Simon ben Sadiq», consultations attribuées à Haï Gaon), ont pour thème principal une mystique de la lumière, symbole de l’émanation, et témoignent de l’influence toujours grandissante du néo-platonisme. Alors que dans le hassidisme la psychologie seule portait l’empreinte de ce courant philosophique, avec les textes de ‘Iyyun et de la littérature du cénacle de Gérone, où les écrits de ‘Iyyun étaient connus et même utilisés, les concepts néo-platoniciens deviennent la base tant de la métaphysique que de la cosmologie.

Le cénacle de Gérone

Entre 1200 et 1260, Gérone est un centre actif qui compte parmi ses membres les penseurs les plus marquants de la kabbale: Juda ben Yaqar, Ezra ben Salomon, Azriel, Jacob ben Sheshet, Moïse ben Nahman. Leurs écrits, presque tous édités et même en partie traduits, reflètent des différences d’ordre doctrinal d’un auteur à l’autre et aussi, pour la première fois dans cette littérature ésotérique, des différences de tempérament. En effet, si les auteurs hassidiques et les kabbalistes de Provence nous sont déjà signalés par certaines données biographiques, c’est à Gérone seulement que les mystiques juifs sortent de l’anonymat. Il s’agit de la première littérature ésotérique où la différenciation stylistique et idéologique des écrits permet de reconstituer la personnalité de chaque auteur. Les genres littéraires sont également plus variés. Outre des exégèses mystiques sur différentes parties de l’Écriture (sur le Cantique des cantiques par Ezra ben Salomon; sur Genèse I, Qohelet, Job par Moïse Nahmanide), sur les parties homilétiques du Talmud (commentaire sur les Aggadot par Ezra et Azriel) et sur la liturgie quotidienne (Azriel), on relève aussi des œuvres polémiques s’en prenant à des doctrines aristotéliciennes (Jacob ben Sheshet, Meshib Debarim Nekokhim ) et le premier exposé didactique des doctrines kabbalistiques (Azriel, Commentaire sur les dix sefirot ). L’influence du néo-platonisme atteint son apogée dans les œuvres d’Azriel. Sans parler des fragments de pseudépigraphes néo-platoniciens intégrés dans ses œuvres, plusieurs de ses expressions caractéristiques, et sa doctrine du Néant divin ou des Ténèbres suprêmes, source de la lumière de l’émanation, trahissent une connaissance, peut-être indirecte seulement, des œuvres de Jean Scot Érigène, dont la nouvelle période de diffusion, suivie d’une condamnation (1210), coïncide de près avec la période active d’Azriel lui-même (1220-1240).

À partir du milieu du XIIIe siècle, et parallèlement au courant principal continué par les disciples de Nahmanide (Méir Ibn Abu Sahula, Ibn Shu‘ayb), les tendances idéologiques se diversifient. Les écrits des frères Isaac et Jacob ha-Cohen, dont l’intermonde et les créatures démoniaques ou mythiques qui le peuplent constituent le thème central, attestent une réaction gnostique contre la kabbale néo-platonisante. Vers 1260, on trouve sous la plume d’Abraham de Cologne (Keter Shem Tob ) la première mention d’une méthode de contemplation qui vise à compléter l’enseignement théorique sur les sefirot par une expérience spirituelle, fondée sur des techniques qui recourent aux noms divins et doivent conduire à l’illumination prophétique. Le plus éminent représentant de ce «kabbalisme prophétique» est Abraham Abulafia, disciple de Baruch Togarmi; il a laissé, en plus des écrits relatifs à cette nouvelle discipline, une interprétation mystique du Guide des égarés , œuvre du philosophe Moïse Maimonide.

Le «Sefer ha-zohar »

Vers la même époque, entre 1260 et 1280, s’élabore le document littéraire fondamental de la kabbale d’Espagne, le Livre des splendeurs (Sefer ha-zohar ). Diffusée sous la forme d’un assemblage pseudépigraphe d’homélies mystiques attribuées à des autorités talmudiques, cette œuvre fut restituée par la critique moderne à son auteur véritable, le kabbaliste Moïse de León, grâce à une comparaison philologique et idéologique avec les œuvres publiées par le même auteur sous son propre nom (L’Âme intelligente , L’Arche de témoignage , Le Sicle consacré ). Des trois couches successives du Zohar , deux seulement sont de Moïse de León: le Midrash ha-ne‘elam , qui en constitue la première et qui est rédigé en grande partie en hébreu, dans le style d’une philosophie allégorisante; et les pièces principales (Idra Rabba , Idra-Zuta ), homélies mystiques écrites dans un araméen archaïsant dont le caractère artificiel trahit la reconstruction littéraire. La troisième couche (Ra‘ya mehemna , Tiqquney zohar ) est postérieure à Moïse de León et présente d’importantes divergences idéologiques par rapport aux deux autres. Du point de vue doctrinal, le Zohar marque un retour à la tendance mythologique des premiers documents de la kabbale (Sefer ha-bahir ). Les spéculations sur les sefirot , enrichies d’inépuisables variations d’exégèse mystique, sont centrées sur les thèmes gnostiques du mal, dont la racine est introduite à l’intérieur même du monde divin; sur la Présence, élément féminin du monde séfirotique, et son union avec l’Époux. Cette syzygie, qui assure l’unité du monde divin et son reflet, l’harmonie cosmique, exige la participation des énergies spirituelles du mystique par l’accomplissement des commandements. On possède un exposé systématique de la symbolique du Zohar dans l’œuvre principale d’un contemporain de Moïse de León, le kabbaliste Joseph Ibn Giqatilia (Sha‘arey Orah ).

Cette période créatrice que fut le XIIIe siècle est suivie d’un siècle d’intense activité littéraire consacrée aux élaborations doctrinales et aux commentaires des œuvres de la première génération; les auteurs en sont Bahya ben Asher, Isaac d’Acco – de l’école de Nahmanide – et Menahem de Recanati en Italie. Vers le milieu du siècle, les œuvres de Joseph Ibn Waqar (1350) et de Juda ben Nissim Ibn Malka représentent un courant d’interprétation philosophique des thèses kabbalistiques. Ces tentatives en vue de concilier les doctrines aristotéliciennes et théosophiques sont les dernières productions originales de la kabbale d’Espagne. Déjà considérablement ralentie au cours du XVe siècle, l’activité des centres espagnols s’éteignit définitivement avec l’expulsion des Juifs de la péninsule Ibérique en 1492. Le grand compendium kabbalistique de Méir Ibn Gabbay (Espagne, 1480) fut déjà terminé en exil (Derekh Emunah , 1530).

3. Du XVIe siècle à l’époque contemporaine

L’expulsion d’Espagne se répercuta profondément sur l’évolution de la kabbale. De mouvement purement spéculatif et réservé à une élite intellectuelle, elle se transforma sous l’effet de la catastrophe historique et sociale en un mouvement messianique touchant de larges couches populaires. Elle fut considérée comme le facteur principal du rétablissement de l’équilibre initial et de l’événement messianique qui en est le corollaire; dans certaines branches radicales, elle fut consciemment utilisée pour influer sur le cours de l’histoire.

L’école de Safed et Isaac Luria

À partir de 1530, le centre du renouveau doctrinal est Safed, petite ville de Galilée. Les idées théosophiques pénètrent toutes les disciplines; même des juristes comme Joseph Karo se situent sur le terrain de la kabbale et se réclament, comme plusieurs de leurs contemporains, de révélations personnelles. Le penseur le plus significatif de la première période de Safed est Moïse Cordovero (1522-1570). Son œuvre principale, le Pardes rimonim (Jardin des grenades , 1548), véritable somme de l’enseignement de la nouvelle école marque déjà, tout en se référant au Zohar , d’importants écarts par rapport à la kabbale d’Espagne.

Le personnage central dont l’influence donne à la théosophie de Safed une orientation nouvelle est Isaac Luria (1534-1572). Son enseignement, entièrement oral, a été conservé dans la rédaction écrite qu’en a faite son disciple Hayyim Vitale (mort en 1620). En plaçant à l’origine du monde le drame cosmologique de la rétraction (simsum ) de la lumière divine; en enseignant la formation de l’univers actuel après l’échec de plusieurs tentatives de création, et le drame psychologique qui s’ensuivit – la chute de l’âme primordiale, fragmentée depuis son exil, et sa réintégration progressive –, la doctrine lurianiste marque un nouvel épanouissement de la tendance gnostique dans la kabbale. La technique de contemplation fondée sur l’oraison méditative, qui apparut déjà en Espagne, sera élaborée en tant que discipline spirituelle principale et considérée comme telle. Plus que tout autre système, le lurianisme est centré sur une perspective messianique, qui ne tardera pas à dévier dans des mouvements hétérodoxes en actualisant les tendances apocalyptiques dans la conscience populaire. En dehors de la Palestine, l’enseignement de Luria est diffusé en Italie par son disciple Israël Sarug ainsi que dans l’œuvre, fortement teintée de philosophie néo-platonicienne, d’Abraham Herrera (Sha‘ar ha-shamayim , La Porte des cieux ) et dans les exposés d’allure systématique de Naftali Herz ben Jacob (Emeq ha-melek , 1648, La Vallée du roi ) ou de Menahem Azaria de Fano.

Le sabbataïsme

Une branche radicale du lurianisme a conduit à la déviation sabbataïste. Sabbataï Zvi (1626-1676), mystique de tempérament instable et maladif, se présenta en 1665, sous l’instigation du «prophète» Nathan de Gaza, comme le Messie dont l’avènement était attendu, d’après des calculs messianiques, depuis 1648. Le mouvement prit rapidement une telle ampleur qu’il éveilla la méfiance de la Sublime Porte. Le pseudo-messie fut emprisonné et n’échappa à la peine capitale qu’au prix de l’apostasie. Cet acte, interprété par Nathan de Gaza comme partie intégrante de la mission terrestre du Messie, fut largement imité par ses sectateurs. Pour la première fois dans l’histoire du judaïsme un mouvement mystique brisait les cadres de l’orthodoxie.

Un phénomène analogue se produisit au siècle suivant en Pologne, où un adepte du sabbataïsme, Jacob Frank (1726-1791), réveillant les tendances antinomiques du lurianisme, entraîna ses disciples à rejeter ouvertement toute loi religieuse et à adopter le catholicisme comme «religion de couverture».

Le mouvement hassidique de Pologne

Le dernier courant issu du lurianisme se répandit en Pologne à partir des années 1750. Consciencieusement épuré de l’extrémisme messianique par ses fondateurs, Israël Baal Shem Tob et ses premiers disciples, ce mouvement, qui fut appelé hassidisme bien qu’il n’ait aucune continuité idéologique avec son homonyme du Moyen Âge, suscita un réveil religieux dans les masses dont les aspirations spirituelles ne pouvaient être comblées par le légalisme trop formaliste des rabbins talmudistes. L’idéal moral, reflet des valeurs théosophiques sur le plan éthique, est proposé au hassid , et pleinement réalisé par le saddiq , l’homme de Dieu. Ce courant fait appel à la foi pure de préférence à la spéculation intellectuelle, sans que celle-ci, toutefois, cesse de jouer un rôle considérable dans les écrits théoriques du mouvement, comme c’est le cas surtout dans l’école lithuanienne fondée par Shnéor de Ladi. Le hassidisme est encore bien vivant de nos jours, notamment aux États-Unis et en Israël, après la disparition des communautés de l’Europe orientale.

4. La kabbale chrétienne

L’expression de kabbale chrétienne désigne un courant d’idées fort complexes qui, depuis le scandale des thèses De omni re scibili de Pic de La Mirandole, à la fin du Quattrocento, se développa avec des fortunes diverses à travers l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, la France, l’Angleterre, les Pays-Bas, la Suède, jusqu’à la publication en 1911 de la traduction du Zohar , la bible de la kabbale, à l’instigation d’E. Lafuma-Giraud, qui y trouvait «l’écho d’enseignements et de traditions antérieurs à l’époque de l’avènement du christianisme». Ce courant intéressa Pascal, les platoniciens de Cambridge, Leibniz, Milton, Goethe, Schelling, avant d’entrer dans le domaine d’un occultisme du plus mauvais aloi, qui fut illustré notamment par Éliphas Lévi, Papus, Aleister Crowley, d’où les recherches suscitées par Gershom Scholem l’ont enfin tiré.

La kabbale chrétienne se manifesta d’abord en Espagne, où des convertis, dans la perspective apologétique du Pugio fidei («Le Poignard de la foi», XIIe s.), cherchèrent, en sollicitant les textes, à prouver la vérité de la religion de Jésus, le Messie. C’est ainsi que le Zohar , donné comme ayant été composé avant le Christ, put être publié par des chrétiens (Crémone, 1559) au moment où l’on détruisait le Talmud .

Ce sont des convertis de ce genre qui entourent Jean Pic de La Mirandole (Giovanni Pico della Mirandola, 1463-1494): son traducteur de textes kabbalistiques, Flavius Mithridates, et Paulus de Heredia, l’inventeur du Gale Razeia (Revelator arcanorum , «Le Révélateur des mystères»), où le dogme de la Trinité apparaît plus clairement que dans le Symbole des Apôtres. L’auteur de l’Heptaplus et des Conclusiones cabalisticae y retrouve, en outre, la source de tous les auteurs favoris de l’Académie platonicienne de Florence: Platon, Hermès Trismégiste, Pythagore et Orphée. Et Léon l’Hébreu, un fils du grand Abrabanel, dans ses Dialoghi d’amore (1502), fait de Platon un kabbaliste.

Johannes Reuchlin (1455-1522), encore mal renseigné sur la kabbale lorsqu’il écrit son De Verbo mirifico («Le Verbe qui fait des miracles», 1494), révèle, dans le De arte cabalistica («La Science de la kabbale», 1517), le vrai sens du pythagorisme et impose pour longtemps le Pentagramme du nom de Jésus (YHWSH), qui est le Tétragramme rendu prononçable. Le défenseur des livres hébreux y trouve plus pour entendre les Écritures que dans la scolastique encombrée d’Aristote. Il est soutenu par Paul Rici (Paulus Ricius), un converti qui passe d’Italie en Allemagne et qui a notamment adapté ce compendium de kabbale qu’est le Shaarei Ora («Les Portes de la lumière», 1515), ainsi que par Petrus Galatinus, un franciscain qui se prend d’ailleurs pour le Pape angélique annoncé par les disciples de Joachim de Flore. Dans son De arcanis catholicae veritatis («Les Mystères de la vérité catholique», 1518), il reprend l’érudition du Pugio fidei , qui avait trouvé «des perles dans le fumier des rabbins», et propose l’étude du Talmud (que Léon X laissera imprimer par un chrétien, Daniel Bomberg) à la lumière du Gale Razeia , dont il reprend presque le titre pour son propre ouvrage.

Un autre défenseur de Reuchlin est Gilles de Viterbe (Egidio da Viterbo, 1465-1532), le général de l’ordre des Ermites de saint Augustin, auquel appartient Luther. Imbu des idées du dominicain Annius de Viterbe (Giovanni Nanni, 1432-1502) sur la civilisation araméenne des Étrusques, entouré de savants juifs, dont le plus célèbre est Élias Levita (1469-1549), Gilles traduit les principaux monuments de la kabbale, où il retrouve le vrai sens de la philosophie italique, dont Virgile fut l’élève; son traité De litteris sanctis («Les Lettres saintes», 1517), fut publié partiellement par Teseo Ambrogio dans son Introductio in chaldaicam linguam («Introduction à la langue chaldaïque», 1539); mais sa grande œuvre, Scechina , dans laquelle la dixième sephira révèle la kabbale à Clément VII et à Charles Quint, est restée manuscrite: elle n’a été éditée qu’en 1959. Et ce sont les œuvres de son contemporain, le franciscain François Georges de Venise (Francesco Zorzi, 1453-1540), De harmonia mundi (1525) et Problemata (1536), qui achevèrent de répandre la kabbale, avec celles d’un de ses élèves, le franciscain Archangelus de Burgonovo, qui le pilla et publia sous son propre nom les leçons qu’il avait faites pour expliquer les deux séries de thèses kabbalistiques de Pic de La Mirandole. La plupart de ces auteurs, auxquels H. C. Agrippa (1486-1535) fit d’abondants emprunts pour son De occulta philosophia («La Philosophie occulte», 1533), furent recueillis dans l’in-folio publié en 1587 par Joannes Pistorius, Artis cabalisticae , hoc est reconditae theologiae et philosophiae scripta , qu’on a appelé la bible de la kabbale chrétienne.

Encore que, au cours de la Contre-Réforme, la méfiance s’accroisse contre la kabbale, l’Italie reste un centre important d’ouvrages de kabbale chrétienne. Laurent de Brindes (1559-1619), qu’on trouve à Prague auprès de Rudolf II avec Joannes Pistorius et qu’on a canonisé, est encore enthousiaste de la kabbale. Le cardinal Federigo Borromeo (1564-1631), le fondateur de la Bibliothèque ambrosienne de Milan, s’il publie le De cabalisticis inventis («Les Inventions des kabbalistes», 1627), collectionne, en relation avec les scriptores de la Bibliothèque vaticane, les œuvres de kabbale. À Rome, où, à la Casa dei neofiti, travaillent les convertis, A. Kircher publie son Œdipus Ægyptiacus (1654), dans lequel la bonne kabbale est proposée pour expliquer les mystères d’Égypte, et l’évêque Joseph Ciantes, qui a traduit saint Thomas en hébreu, prouve par la kabbale les mystères de la Trinité et de l’Incarnation, tout comme beaucoup d’autres convertis qui collaborent avec G. Bartolocci (1613-1687) à la Bibliotheca magna rabbinica (1675-1693).

En France, dès 1519, François Ier se fait exposer la kabbale par un franciscain, Jean Thénaud, et c’est avec raison que Michelet a rangé Guillaume Postel (1510-1581) à côté de l’Italien Pic de La Mirandole et de l’Allemand Reuchlin. S’il ne publia que la traduction du Sefer Yesira («Le Livre de la création», 1553), Postel avait, dès 1548, traduit à Venise le Zohar sur la Genèse, le Bahir , le Commentaire de Menahem de Recanati. Son illuminisme, dans lequel les thèmes de l’âme du Messie et du Gilgul (ou révolution des âmes) dominent, le fit censurer tant en Italie et en France que dans le refuge de Bâle, mais cela ne l’empêcha pas d’avoir quelque influence sur Guy Le Fèvre de La Boderie, qui traduisit le De harmonia mundi et chanta parfois fort poétiquement les grands thèmes de la kabbale, et sur un écrivain qui fut comparé en son temps à Amyot, Blaise de Vigenère (1523-1596). Celui-ci, astrologue et alchimiste, publia le Traicté des chiffres et le Traicté des prières et oraisons , qui est une petite anthologie de textes kabbalistiques que pilla Claude Duret, son cousin, pour faire de son Thresor des langues de cet univers (1613) comme une première «Bibliotheca cabalistica».

Tandis qu’au début du XVIIe siècle, la kabbale suscite la vive critique de Marin Mersenne dans ses Quaestiones in Genesim (1623), un des maîtres de ce dernier, le jésuite Jean Phelippeaux (1577-1645) en était un connaisseur érudit qui, dans un commentaire sur Osée, avait multiplié les citations du Zohar ; Jacques Gaffarel oppose à Mersenne son Abdita divinae cabalae mysteria (1625). Le converti Philippe d’Aquin, qui collabore à la Polyglotte de Paris, publie en 1625 son Interprétation de l’arbre de la Cabale , et Gilbert Gaulmin (1585-1665), qui écrit des «Conclusiones cabalisticae» en marge de ses livres, prête sa riche bibliothèque à Joseph de Voisin (1610-1685), l’éditeur du Pugio fidei , lui-même auteur de «Conclusiones cabalisticae» (1635). La kabbale discutée par Jean Morin est au cœur de la querelle sur les points-voyelles qui oppose Louis Cappel et les Buxtorf. Jacob Basnage, dans son Histoire des Juifs (1702), prétend ramener la kabbale à sa source égyptienne. Et, au XVIIIe siècle encore, on la retrouve dans le Traité de la réintégration des êtres .

Entre-temps, la kabbale a intéressé l’Angleterre, les Pays-Bas, l’Allemagne et les pays du Nord. En Angleterre, John Dee (1527-1608) a publié sa Monas hieroglyphica , mathematice , magice , cabalistice anagogiceque explicata en 1564 et Robert Fludd (1574-1637) sa Philosophia mosayca en 1638, Henry More (1614-1687) a été en relation avec Christian Knorr von Rosenroth (1636-1689), l’auteur de la Kabbala denudata seu doctrina Hebraeorum transcendantalis (1677-1684), par l’intermédiaire de François Mercure van Helmont (1614-1699), qui a écrit notamment l’Adumbratio kabbalae christianae . Tous ces personnages ont été connus de Leibniz. Et l’on sait enfin que Milton, John Donne, William Blake s’intéressèrent aussi à la kabbale.

La Hollande est le pays de Menasseh ben Israël (1604 env.-1657), qui connaît bien les kabbalistes chrétiens et renseigne les curieux sur la kabbale. C’est aussi celui de Spinoza, dont un protestant converti au judaïsme, J. F. Speeth (Moses Germanus), pensa retrouver le panthéisme dans la kabbale. Il n’existe pas là d’université sans un hébraïsant et l’on y étudie la kabbale, qui explique l’équipée de Sabbataï Zevi (1626-1676). Ces recherches sont en relations souvent étroites avec l’Allemagne, où les travaux abondent: J. C. Wolf (1683-1759) avec sa Bibliotheca Hebraea ; J. F. Buddeus, dont l’Introductio ad historiam philosophiae Ebraeorum est éditée en 1702 et 1720; G. Sommer, auteur du Specimen theologiae soharicae (1734); Hermann von der Hardt, auteur des Ænigmata Judaeorum religiosissima (1705); Christian Schoettgen, qui, dans ses Horae hebraicae et talmudicae (1742), croit que l’auteur du Zohar est chrétien; J. Brucker, qui consacrera bien des pages de son Historia critica philosophiae tant à la kabbale qu’aux kabbalistes chrétiens; F. J. Molitor (1779-1861), qui en fera la matière de sa Philosophie der Geschichte oder ueber die Tradition . Ce courant s’étend jusqu’en Suède, où un converti, Johannes Kemper, créera une école, illustrée notamment par Andreas Norrelius, dont l’œuvre sera traduite par J. de Pauly sous le titre, L’Aurore de la foi orthodoxe des anciens kabbalistes .

Au cours de cette histoire, l’intérêt plus proprement religieux pour la kabbale coïncida souvent avec des curiosités pour la magie, l’astrologie, la physiognomonie, l’art de Lulle, l’alchimie et l’ars notoria , voire la zaraiga révélée par Léon l’Africain. Si le De auditu kabbalistico (1518) ne traite que de lullisme, la Voarchadumia (1518) de J. A. Pantheus kabbalise l’alchimie, qui intéresse alors François Georges de Venise. Avec Paracelse s’engage un processus qui sera illustré par l’Amphitheatrum Sapientiae aeternae (1609) d’Henri Kunrath, comme par le mouvement de la Rose-Croix. Et, parce que Jean Trithème a été le maître de Paracelse, sa Steganographie en viendra à désigner l’alchimie pour Jacques Gohory, un des premiers introducteurs de Paracelse en France, tandis que la Kabbala denudata , qui, dès le titre, s’adressait aux adeptes, vulgarisera un traité de kabbale alchimique, l’Esh ha-Mezaref («Le Feu purificateur»). C’est dans cette perspective qu’il faut situer Le Comte de Gabalis ou Entretiens sur les sciences secrètes (1670), que popularisera La Rôtisserie de la Reine Pédauque . Il n’est pas étonnant que la kabbale soit devenue le bien des occultistes au temps où A. Franck (1809-1893) publiait La Kabbale ou la Philosophie religieuse des Hébreux (1843). Franck eut la faiblesse d’encourager Gérard Encausse dit Papus (1865-1916), qui n’hésita pas à utiliser, pour sa Cabale, tradition sainte de l’Occident (1892), en même temps l’œuvre de Franck et celle de son adversaire, le chevalier Drach, rabbin converti, qui dédia à Ingres un des tomes de De l’harmonie entre l’Église et la Synagogue . Au sein de ces courants occultistes, on vit du moins un effort d’honnêteté chez Arthur Edgar Waite, qui, après avoir publié à la Theosophical Society (1902) une étude sur la kabbale, en redonna une édition en 1929, après la publication en France en 1923 de La Kabbale juive de Paul Vulliand (1875-1950), qui avait été d’abord un disciple du Sar Peladan, fondateur de la Rose-Croix catholique.

Cet article est tiré, en partie, de l’Encyclopédie Universalis et remis en forme par Ascelpios.

 

 

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Les illustrations crayonnées de ce site sont fournies par Eva Cordeiro - Merci à elle pour son talent fantastique.